Eggnogs and Flips de Fiona Jardine et Lili Reynaud Dewar à Public : oeuvres d'art et symétrie en miroir avec peintures et sculptures
Eggnogs and flips de Fiona Jardine et Lili Reynaud Dewar : vernissage en entrée libre ce soir à partir de 18h à Public, 4 impasse Beuabourg, Paris 3ème. L'exposition est ensuite visible jusqu'au 7 mai, les jeudis, vendredis et samedis de 15h à 19h.
Présentation de l'exposition par la galerie :
"Eggnogs and flips est le nom dun cocktail à luf typiquement british dont la recette nest plus connue que de rares barmen connaisseurs. Cest aussi le titre énigmatique de lexposition de Fiona Jardine et Lili Reynaud Dewar à Public. Flip, cest la pichenette, à limage du geste qui pousse le jaune duf dans lalcool. Cest aussi le revers, lautre face. Sur la base de ce mot, la structure même de lexposition peut être reliée à ce geste habile. Le flip tient dans le choix aussi bien conceptuel quarbitraire dagencer lexposition selon une symétrie en miroir. La symétrie est construite autour dune diagonale abstraite tracée dans lespace. Appliquée avec rigueur, elle impose de lextérieur une articulation binaire à des uvres très différentes. Contrainte formelle efficace, la symétrie en miroir crée limage globale dun décor redoublé.
Doubler une uvre dart, cest déjà entrer dans une série en en postulant la reproductibilité technique. Mais chaque doublure étant ici le reflet de lautre, les «couples» sont imparfaitement identiques. Fiona Jardine et Lili Reynaud Dewar, lune peintre, lautre sculpteur, ont en commun dutiliser des procédés manuels au service de finis précis à laspect usiné. Cette manipulation nexclut donc pas de légères imperfections de surface. Les artistes jouent manifestement avec cette contradiction apparente à produire à la main en série des objets lisses à la manière dartisans qui auraient lusine pour idéal.
Fiona Jardine utilise des supports facilement reproductibles tels que posters imprimés ou wall paintings. Ses compositions empruntent leurs motifs à limagerie publicitaire du luxe (packagings de parfums, design high tech, plantes exotiques rares) et combinent des matériaux contrastés : dessins, collages et découpages minutieux dimages en couleurs, photocopies noir et blanc détourées, dégradés peints à la gouache, aplats de faux bois... Dans ses posters, des objets flottent sur des fonds indéterminés, les couches successives étant unifiées ensuite par limpression. La composition acquiert alors un aspect digitalisé au charme suranné typique dun usage immodéré de loutil lasso sur Photoshop. Sur les murs de lexposition, un wall drawing biface dessine les contours dune féminité exacerbée : des jambes en marche chaussées de hauts talons, écrasant lensemble de leur présence massive. Posée sur une trame de lignes géométriques aux couleurs pastelles, limage évoque globalement le stylisme des accessoires de tennis pour jeunes filles. Agrandie aux dimensions du mur, la figuration vire en un motif purement graphique. Limage joue sur une tension entre le choix précis dune image figurative empruntée au répertoire de la mode et un graphisme hyper stylisé aux priorités purement ornementales.
Sur ces murs, 2 longs reliefs monochromes semblent léviter. Carabo Carabo sont deux sculptures de Lili Reynaud Dewar dont le titre est emprunté à leur modèle dorigine, la voiture de sport éponyme conçue par les studios Bertone en 1968. Les lignes de cette voiture ultra sophistiquée obéissent à une rigueur fonctionnelle et incarnent une vision datée dun design futuriste. Reproduction à léchelle un, la sculpture a englobé son modèle au point de le déplacer dans une représentation biface, en coupe, légèrement surélevée. Version sculpture, la forme est réduite à lessentiel et rien ne permet plus de lidentifier à une voiture. La Carabo de Bertone sest éloignée dans une représentation sculpturale. Elle nest plus quun motif opaque vidé de ses détails techniques. Retour à létat non fonctionnel de lobjet dans une exposition dart, les deux masses ont perdu leur force daction et entrent dans un mode générique plus proche du projet, du moule ou de la silhouette : une abstraction sortie de la rigidité de la matière carrossable, un relief uni, anti-fonctionnel, anti-design. Il nest pas innocent quune artiste femme prenne pour modèle cet objet incarnant une vision sexiste du désir féminin pour la machine. Elle condense le fonctionnalisme de son design industriel en les lignes fortes le pliant ainsi à dautres codes prioritaires : ceux de la sculpture dite moderne alliée à la décoration dintérieur. Le futurisme sexy et sportif des années 70 est passé au filtre des normes ornementales de la sculpture dintérieur doublées dun ordre artisanal au minimalisme cistercien. Lobjet catalyseur de ces tendances opposées est une sculpture fragile, matte, dun jaune passablement désincarné à la surface poreuse, presque poudrée.
Au sol, deux boules identiques respectivement intitulées Objet dintérieur pour la Floride et Objet dintérieur pour lArizona sont un autre genre dunité matériologique, à la nuance près quelles sont composées dun matériau mixte : des couches compactes de contreplaqué. Cette forme géométrique simple à motif strié et son procédé de fabrication systématique permet un doublon formellement parfait (à lexception près que lune delles cache une légère marque de distinction : une bande brune de plexis teinté à ces couleurs). Réalisées avec des matériaux communs de construction qui sont ensuite travaillés, tournés, polis avec minutie dans un processus sculptural classique, ces deux sculptures en bois sont aussi des objets démesurés de décoration dintérieur, précieux, chaleureux, pratiques même. Étrange synthèse entre des codes de la sculpture et du décoratif, elles ouvrent un genre nouveau : celui de la «sculpture dintérieur» dont plus la modeste charge programmatique serait dêtre assortie aux tonalités colorées dun appartement typiquement côte Est américaine...
Lexposition amplifie les contrastes esthétiques qui tirent lensemble aussi bien du côté du caprice décoratif que de la réflexion critique sur les codes du décoratif en sculpture et en peinture. Cette exposition affirme sa force dapparat dans un jeu dagencement entre silhouettes dobjets et lignes graphiques.
Les 2 artistes usent de formes spécifiques issues du design ou de limagerie de consommation de luxe à la manière de modèles pour leurs uvres. Décontextualisés, ces modèles dorigine ont la particularité de sadapter facilement au champ de lart : leurs formes et leurs motifs glissent sur les codes admis en sculpture et en peinture. Leurs uvres sont alors le terrain dexpériences sur le modèle, la couleur, la forme, le dispositif. Elles synthétisent le pouvoir de séduction de leurs univers dorigines et un idéal moderniste inscrivant lautonomie de luvre dans des problématiques propres au médium. Leurs uvres, dans une relation très opaque à leur modèle dorigine, portent lhistoire de leur dérivés formels. Cette réflexion sur la sculpture et la peinture en elles-mêmes et sur leurs poncifs, passe par des usages subjectifs et anecdotiques de lobjet. Lexposition renvoie directement à lusage bourgeois dun art abstrait décoratif rehaussé, avec un certain humour, par lusage de matériaux contemporains. Ces uvres quasi-abstraites à laccroche figurative nhésitent pas à plonger dans des délires ornementaux ou des maniérismes de fabrique. Les procédés critiques mis en uvre dans cette exposition jouent avec une pointe dironie sur cette catégorie de lexposition dintérieur.
Fiona Jardine vit à Glasgow. Lili Reynaud Dewar vit à Nantes où elle suit le post diplôme de lEcole des Beaux-Arts."